1) Les bonnes clefs
Dominique Serron – Le 03/02/23
Les Bonnes de Jean Genet, un fantasme travesti qui nourrit l’être profond.
La récente réécriture des contes du Décaméron a permis à Dominique Serron, outre un retour éclairant aux sources du pré-humanisme, de confirmer l’identité de la compagnie et le caractère essentiel de la création au temps des catastrophes. Après Frank Wedekind associé à Stravinski et l’assemblage de trois pièces de Federico Garcia Lorca, l’Infini Théâtre poursuit ses recherches à travers le grand répertoire classique du XXième siècle sur les pistes du théâtre contemporain en façonnant des œuvres composites. Ainsi, on peut dire que nous montons Les Bonnes en pensant au Balcon et que nous nous penchons aussi sur le Balcon dans l’ombre des Bonnes. Dominique Serron prépare par ailleurs un “documenteur” sur le sujet. Des extraits en seront cependant déjà montrés lors des ateliers-rencontres de médiation.
Comment la pièce Les Bonnes de Jean Genet, mal aimée à sa parution en 1947, est-elle devenue son œuvre la plus jouée aujourd’hui ?
Adulé par la Beat génération et Patti Smith, ce marginal fasciné par le crime à aussi inspiré d’autre créateur·trice·s comme Fassbinder au cinéma ou encore David Bowie et Etienne Daho dans la pop culture. A travers ce portfolio, sorte de boîte à outils à l’adresse du tout venant, la metteure en scène, Dominique Serron, partage en direct sa vision de l’œuvre de Jean Genet et les textes auxquels elle fait échos. Comment, celui qu’elle nomme avec humour et camaraderie “Jeannot, la plume de feu”, nous a accompagnés dans notre travail et nos vies causant parfois, des rencontres aussi inattendues que fondamentales.
Par une série de notes de travail et de réflexions, nous nous attarderons sur la dramaturgie et les différents éléments qui constituent la représentation mais aussi sur une interprétation singulière de l’œuvre de Genet. Ces notes seront transmises régulièrement au fil du travail et de son évolution. A travers ses créations, Dominique Serron tente toujours de maintenir ouvert le champ des possibles entre théorie des sciences humaines et art du spectacle vivant. Cette perspective de recherche nous conduit parfois à consulter les références les plus inattendues. Ainsi la metteure en scène chercheuse s’est retrouvée sur le chemin d’un philosophe, astrophysicien admirateur inconditionnel de notre auteur, Aurélien Barrau.
Les liens que nous pourrons faire entre sa sensibilité artistique et ses théories écolo-éthiques inspirent à Dominique Serron un dialogue improbable entre pensée et poésie ; nous y reviendrons. La rencontre atelier avec les classes mais aussi le tout public sera quant à elle, l’occasion d’expérimenter concrètement par une approche ludique et jubilatoire les contenus du spectacle.Ainsi, nous espérons offrir aux jeunes et aux moins jeunes, des outils utiles afin de savourer la mise en jeu d’une œuvre emblématique d’une figure irrévocable de la littérature française devenue presque mythique : Jean Genet, au-delà de lui-même.
2) Une légende, son histoire
Le scénario
On pourrait dire : Madame sortie, les bonnes « dansent »… ou jouent !
L’une se dresse avec autorité exacerbée dans les parures de sa maîtresse, l’autre singe un repli dans sa robe de service. Elles miment, non sans risque, l’assassinat de leur patronne. Le réveil sonne pour interrompre leur séance de psychodrame qui les oppose dans d’interminables querelles. Reproches, besoin d’être reconnue, à qui mieux mieux, leur dialogue tourne en rond comme leur corps. Elles ont par ailleurs, complices infâmes, tissé toute une intrigue de dénonciation qui a conduit Monsieur, l’amant de Madame en garde à vue.
Elles sont à bout, prêtes à tout.
Lorsque Madame rentre, les deux sœurs ont décidé de lui administrer la tisane définitive, celle qu’on ne boit qu’une seule fois. Coup de théâtre et c’est incroyable : Madame doit rejoindre Monsieur, sorti de prison et qui l’attend au Bilboquet. Elle ne boira pas !
Après la grande diatribe de Solange qui semble célébrer le final de leur délire, dolente et toujours sous le couvert du rôle de Madame, Claire fait mieux, va plus fort, plus loin, elle intime l’ordre à son aînée, Solange, de lui donner réellement à boire le mortel tilleul.
Cette fable, presque crédible, sert en réalité d’alibi aux exubérances poétiques du maître dramaturge. Il nous emporte dans un enfer abyssal de scènes jouées et déjouées.
Un peu d’histoire du théâtre :
Nous choisissons de traiter principalement la deuxième version du texte proposée par Genet en 1958, plus elliptique, plus jouante, plus rythmée. Notre création réserve une part importante à la musique, faisant de Madame une exubérante diva. Jean Genet disait vouer au chant et à la musique, l’abstraction poétique la plus noble.
Le 19 avril 1947 à L’Athénée, le théâtre parisien dirigé par le célèbre acteur Louis Jouvet, est programmée une pièce de Jean Genet, Les Bonnes. Bien qu’il ne s’agisse pas de sa première création, c’est la première fois qu’une de ses œuvres affronte la critique et le public. Le nombre d’articles écrits, alors que Genet était encore peu connu à l’époque, en font un événement théâtral. Provocateur et précurseur, son procédé poétique d’inversion de la morale dominante provoque un malaise parmi les spectateur·ice·s. L’irrévérance linguistique et politique n’est pas tout, Genêt dérange aussi de par ses origines modestes, son homesuxualité et son rôle de précurseur inconscient de ce qu’on nomme aujourd’hui le phénomène Queer.
Double victimes / Double criminelles/ Double Bonnes : la source ?

Même si Genet en conteste l’influence, ses contemporains font aussi le rapprochement avec un fait divers : L’ignoble meurtre des sœurs Papin, l’histoire glaçante du 2 février 1933.
Ci-contre l’authentique couverture du fait divers relatant les affreux crimes des sœurs Papin publié par l’hebdomadaire Détective du 09/2/1933 !
Ce fait divers a probablement inspiré Jean Genet mais aussi de nombreux écrivain.e.s. et cinéastes. On ne peut nier la ressemblance entre les deux récits. On retrouve ce duo de bonnes et de soeurs. Chez les Papin et les Lemercier (nom de famille des Bonnes) l’on découvre cette relation étrange et alternée entre les deux sœurs, l’une perverse, l’autre soumise et faible, l’une dirige, l’autre exécute.
A l’époque c’était un événement marquant qui a servi de motif pour un discours de revendication sociale dont Genet se départit même si on y voit comme partout dans son œuvre un détournement au profit de son discours ambigu. On peut d’ailleurs souligner que les personnages de la pièce, y compris Monsieur qui y est cité, en sont franchement inspirés. Enfin, on comprend dès à présent pourquoi les Bonnes lisent Détective.
Les histoires de petites bonnes sont à la mode dans les journaux des années trente, en particulier dans Détective, tantôt coupables ou victimes, elles sont des sujets de fantasme et d’inlassables variations littéraires. Le grand hebdomadaire des faits-divers créé en 1928 s’efforce jusqu’à aujourd’hui de tenir en haleine ses lecteur·rice·s en mettant en avant le point de vue des Protagonistes !
Un fait divers glaçant ! Le 2 février 1933 on découvre les cadavres de Léonie Lancelin et sa fille. Elles ont été lacérées de coups de couteau, leur visage est écrasé, elles ont toutes les deux les yeux arrachés. Un des corps n’a plus de dents, arrachées elles aussi. Mais où sont passées les bonnes, Christine et Léa Papin? C’est dans leur mansarde que nous découvrons les deux sœurs enlacées dans le même lit. C’était pourtant de “vraies perles” d’après leur maîtresse. C’est du propre !


3) Genet – Hier et aujourd’hui : éléments de biographie –
Le 05/06/22
Jean Genet est un écrivain, poète et auteur dramatique français. Il naît le 19 décembre 1910 à Paris. De père inconnu, il est abandonné quelques mois après sa naissance. Mauvais genre, ce bad boy de la littérature française se vante d’avoir voulu maîtriser la langue pour répondre à ceux et celles qui ont le pouvoir par essence ! L’orphelin prometteur vivait à l’assistance publique, à l’hôtel, ou alors quand il voulait vraiment avoir la paix, ‘le bagne’ ! Rien de tel pour écrire que rêver derrière des barreaux dans le cocon douillet de la prison…
« Jean Genet, menteur sublime. »
Tahar Ben Jelloun



Ses premiers romans sont censurés et se distribuent sous le manteau. Précurseur d’une idéologie moderne, d’une révolution transfuge «Jeannot l’intrépide» bouscule les valeurs et nous cloue le bec avec sa poésie qui ose dire/raconter : ses histoires de sodomie, son goût pour les fleurs, son odeur de sainteté et son théâtre insolent déjà en son temps si proche du performatif. Le langage cru et les sujets de ses œuvres sont comme des actes de délinquance sublimes envers l’ordre social.
Le nom même de Genet, le genêt étant un arbrisseau à fleurs jaunes, l’ancre dans la famille des fleurs. Fasciné par leur puissant pouvoir d’évoquer la pulsion de vie -l’éveil, la sexualité, la résurrection- mais aussi de mort -le deuil, le poison, l’apparence- elles fleurissent dans sa langue comme le long du chemin menant aux enfers. « Objet poétique par excellence » selon Sartre, les fleurs vivifient son écriture et brouillent la frontière entre le monde des humains et des végétaux en passant des hommes aux fleurs et des fleurs aux hommes.
« Nous ne saurons rien de plus, ni sur le bagne, ni sur les mauvais garçons, ni sur le cœur humain, tout est faux. »
Jean-Paul Sartre
Genet a créé une croyance autour de son personnage : poète et voyou. Sur base de faits réels, il s’est tissé une légende qu’il a nourrie. Accusé de vol dès l’enfance, cette stigmatisation fixe selon Jean-Paul Sartre son identité : le petit Jean se choisit une carrière, il sera voleur et auteur. Dans ses écrits, il nous donne une image de criminel révolté mais après examen Genet n’a jamais commis que des vols de livres ou de vêtements. Il confirme dans Journal d’un voleur : “Si j’examine ce que j’écrivis, j’y distingue aujourd’hui, patiemment poursuivie, une volonté de réhabilitation des êtres, des objets, des sentiments réputés vils”. Ainsi, invoque-t-il de “gracieux voyous”, des “assassins glorieux” ou encore une déchéance morale signe de “sainteté”. Comme le dit Tahar Ben Jelloun “un malentendu permanent plane entre Genet l’homme et Genet l’auteur” malentendu entretenu avec effronterie par ses multiples facettes.
L’œuvre de Jean Genet se donne également à lire comme terrain d’investigation sans idée préconçue de genre ou de politesse. Il aspire à ce que, ce que nous appelons aujourd’hui la communauté LGBTQIA+, trouve sa place au sein des mythes et légendes qui ont jalonné l’histoire de l’humanité. L’homosexualité, qu’il appelle provoquament la quintessence de l’esprit tragique, est sublimé dans ses oeuvres notamment dans le roman Notre-dame des fleurs sous les doux traits de Divine, prostitué.e transexuel du Paris des folles et des tantes sanctifiée par l’hybris.

Image extrait du film Pink Flamingos, 1972
L’américain Glenn Milstead a emprunté son nom de scène à Genet, en créant Divine, une des drag-queens les plus emblématiques du XXème siècle, de la scène drag et du mouvement LGBT aux Etats-Unis, reconnu notamment par sa collaboration artistique avec le cinéaste indépendant et underground John Waters.
Dominique Serron voit à travers cette personnalité fascinante souvent contestée et pas toujours “politiquement correct”, la partition d’un jeu inédit qui réinvente le rapport au monde. Nous pensons pertinent de le faire parler hautement au cœur de notre époque. En choisissant de monter Les Bonnes, on propose donc l’expérience de partitions virtuoses à nos interprètes tout en s’inscrivant pleinement dans notre exploration d’un théâtre fidèle à des textes denses proposant une recherche de forme.
4) Madame est une diva
Dominique Serron
Une idée qui, sans la musique de Line Adam et la personnalité de Tineke Van Ingelgem ne serait restée qu’une idée ! Une collaboration sans précédent pour chacune de nous ! Line, notre compositrice, a littéralement moulé sa musique au plus près de la forme dramaturgique et Tineke, l’interprète de Madame, joue le jeu comme une actrice qui interprète un rôle dont la partition, en partie chantée, est celle d’une cantatrice.
J’ai eu la chance de mettre en scène des spectacles lyriques. J’y ai rencontré des artistes exceptionnels mais aussi des tempéraments extrêmes. Entre le fonctionnement qui régit les interprètes d’opéra et celui des artistes de théâtre, la différence est frappante. Une frontière de somptuosité nous sépare alors que, nous pourrions d’avantage jouer sur le même terrain.

à gauche Tineke Van Ingelgem © Johannes Vande Voorde/ID
à droite Line Adam

Nous nous confrontons à des pratiques, pour ma part, extrêmement semblables. Les moyens sont différents, les modes d’emploi sont différents ainsi que les objectifs. J’ai ressenti que cette dissemblance, sorte de mot d’esprit dramaturgique, pouvait augmenter le rapport dans l’écriture entre Madame et ses bonnes, sublimer la situation proposée par Genet par les décalages comiques sur lesquels elle repose. Nous donner à jouer la variation d’une partition passionnante.
Le terme diva vient de l’italien (1830): déesse, féminin de divus, lui-même venant de deivos (lumineux), de l’indo-européen (deivos) , les êtres célestes. Tout en Madame est lumière : ses bijoux, ses robes, son élégance, sa maison, tout y ressemble si cruellement à la panoplie d’une diva.
Divine est aussi et surtout le nom un personnage, non genré de « Notre Dame des Fleurs », le premier roman de Genet. Ce prénom fait écho au mot « diva », à l’univers d’hybridation auquel il s’identifie volontiers. Le langage de Divine ressemble cruellement de celui de Madame, notre diva.
«Mon Dieu, mes Belles, j’ai failli m’évanouir. Les gendarmes m’ont soutenue. Ils étaient tous autour de moi à m’éventer de leurs mouchoirs à carreaux. Ils étaient les Saintes Femmes qui m’essuyaient la face. Ma Divine Face : Revenez à vous, Divine ! Revenez, revenez, revenez à vous, criaient-ils ! Ils me chantaient…»
Ne dirait-on pas, la même scène que celle racontée dans la pièce Les Bonnes, où Madame a vu Monsieur disparaitre entre deux gendarmes et où elle est reprise par Solange qui lui rappelle que ce sont seulement des gardes !
Le détenu Jean Genet, âgé de 32 ans, dans un pénitencier de la France sous l’occupation allemande, découpe dans le journal des photos de criminels pour les coller sur le mur de sa cellule. Il imagine leur vie la nuit et il écrit. Voilà le rituel auquel, Divine, travestie et prostituée, Mignon, son amant, et Notre-Dame-des-Fleurs, adolescent assassin, doivent leur origine de fiction…
Comme dans les Bonnes, ce qui caractérise les personnages se positionne à nouveau sur des registres de vocabulaires extrêmes sans cesse réinventés et ne se souciant aucunement du réalisme social. De l’outrance à la préciosité, de la vulgarité à la poésie, et d’une virilité franche à une féminité exacerbée ; toutes les variations de langage s’assemblent en une puissance dramatique particulière au service d’un discours universel sur l’humanité.
Genet ne dit-il pas dans sa préface, Comment jouer Les Bonnes : « ...des bonnes véritables ne parlent pas comme celles de ma pièce : qu’en savez-vous ? Si j’étais bonne je parlerais comme elles… »
Une référence sociale : Après avoir consulté l’excellente enquête d’Alizeé Delpierre: Servir les Riches. Au vu de ce que certaines patronnes ou maîtres de maison exigeaient et exigent, sans scrupule, de leur personnel, la mise en scène imagine que cette « Madame-là » exige que son personnel lui réponde en chantant.
Un argument psychologique : Le narcissisme, l’exubérance, l’extériorité du personnage inspirent volontiers un profil autoritaire et capricieux de diva.
Une clé dramaturgique : Madame a une garde-robe de gala, des manteaux de star. Elle exhibe un lyrisme naturel. Elle dramatise tout ce qu’elle vit et domine son personnel d’une prétention paternaliste. Elle est aveuglée par elle-même et son reflet. Elle est partout dans sa maison. Sa maison résonne d’elle.
Un effet de style : La pièce se caractérise par un mélange de genre passant de la comédie bourgeoise au drame réaliste, du film noir aux dialogues désopilants à la façon de Michel Audiard, de la chronique anecdotique au tragique universel, etc… Le style opératique s’affirme alors comme un moment virtuose de cette épopée stylistique. Madame devient pour moi, la « réplique chantante », la sophistication absolue du jeu.
Madame est trop bonne et en-chantée !
D’où vient l’idée folle d’avoir imaginé Madame telle une diva qui exige de son personnel une vie « en-chantée » …
La pièce de Genet, bien au-delà de la critique sociale, dénonce la violence de la condition humaine. Le pouvoir inconditionnel de certaines personnes peut en aliéner d’autres à une soumission vitale. Il ne s’agit malheureusement pas de propos surannés comme en témoigne le documentaire de Marguerite Baux, Les Femmes Invisibles ou encore l’essai d’Alizée Delpierre, Servir les Riches
On les appelait bonnes à tout faire, : souillons, souillardes dans le texte de Genet, on pense immédiatement au mot dépouillé qui se décline en pouilleuses. Leur seul refuge : la prière qui les replie dans leur mansarde puante ! Privées de leur noms, parfois de leur identité, on les appelait aussi vulgairement, des « bobonnes ».
Par certains témoignages, les caprices des Madame(s) nous apparaissent peut-être fous mais incontournables aux bonnes pour subsister. Le petit déjeuner avec un œuf à la coque – chaud – immédiatement prêt, quelle que soit l’heure du lever! Porter des couches, pour ne pas interrompre le service ! Comprendre les ordres dans les langues de la maisonnée sans jamais cependant ouvrir la bouche et même pas pour dire bonjour… Servir : c’est rogner son corps, renoncer à ses besoins et désirs. Devenir un corps dans le prolongement de celui de Madame.
Si Madame était une diva, il serait logique qu’elle exige qu’on chante sa vie. Une idée qui, sans la musique de Line Adam et la personnalité de Tineke Van Ingelgem ne serait restée qu’une idée !
Line Adam, notre compositrice, a littéralement calqué sa création musicale au plus près de la forme dramaturgique et Tineke, l’interprète de Madame, joue le jeu comme une actrice qui interprète un rôle dont la partition, en partie chantée, est celle d’une cantatrice. Tandis que les actrices-bonnes : Alexia Depicker et Laure Voglaire s’appliquent à chanter avec dévotion les exigences formelles de la divine Madame. Une collaboration sans précédent pour chacune de nous !
Un effet de style supplémentaire à la déclinaison de références de jeu déjà incluse dans la dramaturgie de la pièce qui se caractérise par un mélange de genres passant sans transition de la comédie bourgeoise au drame réaliste, du film noir au comique burlesque, de la chronique anecdotique au tragique universel.
Le style opératique s’affirme alors, outre la cohérence avec les traits psychologiques et la garde-robe de gala du personnage, comme un moment virtuose de cette épopée stylistique. Madame y devient, la « réplique chantante », en-chantée, même du pire, la sophistication absolue de l’être.
5) Les Bonnes intentions pour les costumes
Christine Mobers
Tout est possible, c’est vertigineux ! Des bonnes en petite robe noire et tablier blanc, col Claudine et manchettes comme dans Le journal d’une femme de chambre ; des femmes de ménage comme dans La femme de ménage ou en cache-poussière rose comme dans Volver ; des tenues de karaté comme …..
Nous avons commencé par Madame. Elle est fantasmée par ses bonnes, elle donne le la… (c’est le cas de le dire). Elle aussi peut varier du drag queen, au chic avec un zeste de vulgarité comme dans Le Lauréat, en passant par Femmes au bord de la crise de nerfs.
Nous l’avons choisie classique et quoi de plus classique que le tailleur Chanel ? Notre Madame est grande et la puissance évocatrice de la bourgeoisie du tailleur Chanel est décuplée. Elle domine les bonnes par sa taille, mais aussi par l’assurance que lui procure ce tailleur indémodable. Il traverse les époques, se fiche des modes et Madame se ballade nonchalamment pour l’éternité.

Photos : Pierre Bolle

Photos : Pierre Bolle
Les tenues des bonnes sont apparues ensuite, assorties au standing de Madame d’une part, mais également par la volonté de les vêtir de la tenue fantasmée des femmes de chambre de la bourgeoisie. Leur « odeur fétide » ne provient pas du costume, elle suinte de par leur condition, de part la « soupente » où elles sont logées. Le costume bien taillé avec le col et les manchettes amplifie encore la rudesse de leurs gestes. Ce costume les enferme, les écrase au même titre que les bontés de Madame.
La robe rouge et la robe blanche utilisées pour le « rituel » sont souvent amplifiées par le regard des bonnes déguisées en Madame. Nous n’avons pas ressenti la nécessité de les rendre démesurées. Il est très tentant de faire une création de robes extravagantes et je l’ai fait dans d’autres productions. Lors de mes créations avec Dominique Serron, je me suis toujours appuyée sur les corps en répétition, sur les situations de jeu et ici une robe rouge, certes de princesse mais de taille normale s’est avérée juste ; de même pour la robe blanche, celle enfilée par le cou devant la robe de bonne procurait l’image souhaitée : une robe juste devant soi comme les poupées de papier.
6) Les Bonnes idées
UN DOCUMENTEUR – dire le faux pour dire le vrai
Tout a commencé, lors du confinement, pendant mes interminables marches quotidiennes, quand j’ai écouté Aurélien Barrau. A la recherche d’un propos pertinent, lors de la préparation de la mise en scène du spectacle les Bonnes, je suis tombée par hasard sur les conférences de cet astrophysicien, philosophe et chercheur en écologie mais aussi passionné par l’œuvre de Genet.
Sans nous connaître et à partir de domaines de recherche pourtant très différents, nous pouvions, peut-être, croiser nos idées ?
Après m’être procuré ses livres, je lui ai écrit, nous nous sommes téléphoné, il m’a envoyé ses dernières publications et nous avons décidé de nous parler.
Genet : Dans l’œuvre de Jean Genet, l’extraversion est donnée comme révélateur de l’intériorité la plus authentique. A travers ses textes et plus spécialement Le Balcon et Les Bonnes, il démontre que le jeu, la création, l’imaginaire refaçonnent le réel. Par l’extériorisation symbolique la plus outrancière, ses personnages touchent à l’intériorité la plus sensible et se modifient. Lui-même semble masqué en dramaturge et resplendit par sa poésie théâtrale dans un rôle qui semble le révéler « au-delà de lui-même », lorsqu’il devient le locuteur de ses personnages.
Barrau : Astrophysicien, philosophe, auteur et poète : un homme de science et un artiste. Par sa connaissance scientifique, lors de ses conférences informatives où il fait un état précis de notre monde, Aurélien Barrau, ne nous recommande-t-il pas, de nous inspirer de la poétisation comme modèle pour «sérieusement» revoir le fonctionnement de l’ordinaire de la vie sur terre ?
Ainsi, de remettre en cause les certitudes de ceux et celles qui collaborent quotidiennement à sa destruction massive ?
Voici, peut-être, aussi la source de son enthousiasme engagé pour l’inclassable Genet !
Si on en croit la théorie d’Aurélien Barrau, la réinvention issue de la création poétique, en tension entre les contraintes du langage et l’idée de sa transformation, pourrait offrir un modèle de réhabilitation de notre fonctionnement écolo-éthique. Une nouvelle philosophie de vie !
Il se fait qu’Aurélien Barrau est aussi un passionné de l’œuvre de Jean Genet. Ainsi donc, mon intuition dramaturgique et ma réflexion philosophique qui m’invitent à rapprocher la mise en jeu de Genet d’une mise en œuvre du changement.
Postulat du documenteur : La maison d’illusions n’est pas une illusion ! La maison d’illusions existe.

Christine Mobers
Image : Leone P. Estingoy

Zoé Pauwels
Image : Leone P. Estingoy
Nous avons des témoignages, nous avons des preuves !
Le documenteur dit le faux pour dire le vrai, brode sur une réalité mais force un discours subversif, fondamentalement pacifiant.
Dans la pièce Le Balcon, dans un lieu clandestin nommé La Maison d’Illusions, des personnages sortent de leur anonymat pour revêtir, le temps d’une séance jubilatoire, le costume dont ils ont rêvé. Par l’opération magique de l’artifice, du déguisement, ils révèlent alors leur être profond, par une espèce de logorrhée poétique. L’invention de soi, par une opération symbolique, devient alors la preuve même d’un changement possible, la source même du possible d’un monde à refaçonner, peut-être plus humain. Certainement plus vrai ! Quand Madame Irma, à la fin du Balcon, éteint les lumières comme une régisseuse en évoquant le spectacle du lendemain, on comprend bien qu’on était tout simplement au théâtre.
L’œuvre de Genet, considérée comme métaphorique, inspire un modèle poétique, une sorte de voie de résolution, qui pourrait servir de tremplin à une transformation de compréhension du monde.
Dans la maison, le geste de s’y déguiser, d’y jouer s’apparente à la théâtralité la plus fondamentale que Genet exacerbe globalement, dans toute son œuvre, mais encore plus particulièrement dans les Bonnes et le Balcon. L’invention de soi devient alors par extension la source même de la réinvention d’un meilleur monde.
Paradoxe de société : Il faudrait donc éduquer au jeu et aux représentations du monde pour le sauver, pour le réinventer ? Incroyable… Plus de jeu et moins de contrôle des études ! Magnifique, jeunes personnes ! Mais soyons un petit peu sérieux… comme dirait Aurélien Barrau.
La création est trop souvent considérée comme appartenant à la marginalité. Là où la société bien-pensante relègue l’art à une activité fantaisiste contribuant peu à la productivité.
Et si l’on disait que la culture (et le théâtre par extension) sont la maison d’illusion. La Maison d’Illusion, serait la métaphore de l’espace privilégié, où, à travers le phénomène de transgression se réalise l’invention de soi. L’imaginaire et ses dérivés y seraient soudainement honorés comme étant la clé d’un vrai pouvoir de changement. Non par des contenus bien-pensants mais bien par le souffle révolutionnaire de son activité !
Maison où se crée un double exemple du phénomène de changement : la métamorphose comique opérée sur le personnage ET la puissance de la forme théâtrale, sa plasticité. Genet y amène une troisième dimension. Les personnages y fantasment et Genet y poétise aussi sa propre sublimation existentielle, masqué par le rôle du dramaturge. Ce n’est pas la narration qui démontre cette explosion du sens poétique, mais bien, le flux des paroles une fois engouffrés dans l’espace dramatique. La battue ludique provoque un flux qui inonde, dépasse l’entendement.
Où en sommes-nous ?
Pour l’instant, nous avons réalisé une interview de Christine Mobers (créatrice des costumes des Bonnes, mais aussi de nombreuses scénographies et costumes de la Compagnie). Elle y révèle au grand public, pour la première fois, qu’elle est aussi la créatrice de tous les costumes de La Maison d’Illusion de Madame Irma.
C ‘est un début…
A suivre…